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Un témoignage personnel de Mme Amy Ashwood Garvey

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Amy Ashwood Garvey

Quelques mois après son retour de Grande-Bretagne, [Marcus] Garvey réalisa qu’il risquait, pendant un temps, de courir après des chimères. Se contenter de rêver de grandeur ne l’a que momentanément satisfait. Son esprit vif et sa croyance en des idéaux exigeaient de passer à l’action. Il voulait voir la race à laquelle il appartenait avancer triomphalement dans le concert de l’humanité déjà en marche. Il voulait donc s’entourer d’un comité directeur et de collaborateurs acquis à sa façon de penser, afin de constituer une avant-garde fidèle. Car les plans grandioses n’ont de consistance qu’en devenant réalité. Ainsi, Garvey était convaincu que s’il était « Napoléon », il lui fallait sa « Joséphine ». Garvey était dans une période de sa vie où, à l’instar de tous les grands hommes, les idées et leurs applications concrètes se devaient d’être rudement mises à l’épreuve. C’est alors que la frustration vous guette. Et tout dirigeant s’y trouve un jour confronté (un peu comme le feu purificateur du potier qui sépare l’or des impuretés résiduelles). C’était, pour Garvey, la période où il se rongeait les sangs.

 
C’est précisément à cette période que nos pas se sont croisés. Garvey et moi nous sommes rencontrés pour la première fois par le hasard du destin à la faveur d’un concours de circonstances. Notre rencontre n’était en rien banale car elle eut lieu à un moment très significatif pour nous deux. Elle a même changé beaucoup de choses dans nos vies. 

 

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L’occasion de cette rencontre était toute simple. À l’époque, j’avais pour habitude d’assister à un débat littéraire qui se tenait dans le hall de l’Église baptiste de Kingston en Jamaïque. Ce fameux mardi de juillet 1914, j’avais suggéré le sujet suivant : « La civilisation, un frein au renforcement de la morale ». Après avoir argumenté sur mon thème avec toute la vigueur possible, je suis retournée m’asseoir afin d’écouter mes contradicteurs. 
 
À mesure que le débat progressait, mon esprit était si absorbé par les joutes littéraires que je n’ai porté que très peu d’attention, voire aucune, aux personnes qui prenaient la parole ; ni même au fait que dans mes supporters, se trouvait un jeune homme particulièrement cinglant, au franc-parler. 
 

À la fin de la réunion, je m’en allai comme d’habitude, prendre le tram pour rentrer chez moi. Et à l’arrêt du bus se trouvait un individu trapu et légèrement voûté. Je lui trouvais une apparence familière, c’est alors que je me rendis compte qu’il s’agissait du monsieur qui avait soutenu mes opinions avec tant de pugnacité. L’étranger attira mon attention. Toute la passion du débat ayant disparu, j’ai clairement pu voir l’intensité de la lueur émanant des yeux de mon supporter inconnu. Dans cette lumière du soir, ces yeux semblaient d’un noir si brillant. Tout un monde semblait émaner de ces yeux-là. 

 

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Puis ce fut la plus grande surprise de ma vie. L’audacieux inconnu s’avança spontanément vers moi et, sans que je ne l’y ai invité, s’adressa à moi de la façon la plus étonnante. « Enfin ! », dit-il, de sa voix grave et généreuse « J’ai trouvé l’étoile de mon destin ! Je l’ai trouvée, Joséphine ! » […]. Marcus ne perdit pas de temps en banalités. Il se mit aussitôt à raconter sa vie, vraisemblablement pressé de le faire. J’étais fascinée par sa façon de s’exprimer. Durant  le temps où il parlait, rien ne laissait paraître qu’il s’adressait à une personne qu’il connaissait à peine, ni même qu’il soit conscient de cet état de fait. On aurait cru que nous nous connaissions depuis des années. L’histoire de sa vie était une effusion de son moi profond (sic). À certains moments il semblait hésiter, cherchant l’expression juste, appropriée, mais en tout état de cause ne cherchant aucunement à dissimuler et étant visiblement sincère. Il racontait agréablement sa vie d’enfant turbulent, la nature et les qualités de ses parents, une prophétie de son père, ses premières batailles pour gagner sa vie, et les raisons qui l’avaient conduit à s’intéresser aux masses noires, de même que ses aspirations et son désir d’apporter une amélioration à la vie des Noirs ployant sous le joug de la pauvreté et de l’ignorance.

 
La suite de son histoire l’amena à parler des hommes qui s’étaient battus pour arriver au sommet : Toussaint Louverture, Napoléon, Antonio Maceo, Booker T. Washington, des hommes qui avaient tous, chacun à leur manière, servi la cause de leur race selon leurs connaissances et les conditions de vie de leur époque. Il était également très fier d’évoquer l’histoire des esclaves marrons de la Jamaïque et des nombreux autres qui ont dû se battre, durant toute leur vie, pour préserver leur liberté d’esprit et leur volonté à résister aux entraves auxquelles toutes les personnes de leur condition étaient confrontées. En l’écoutant parler de tous ces faits, j’ai immédiatement senti que l’amour de la race noire était très fort chez lui. 
 

Le flot de ses propos se déversait tel un courant rapide, gagnant en puissance, en profondeur et en intensité au fur et à mesure qu’il s’écoulait. J’arrivais même à saisir les sentiments profonds et non exprimés de Garvey. Il parlait de cette force intérieure qui l’obligeait à consacrer sa vie à la prise de conscience des gens de sa race. Il désirait profondément les voir acquérir un meilleur niveau de vie sociale, politique, économique et culturelle. La frustration de voir tant d’Antillais mener une existence misérable était très palpable chez lui, et le fait que ceux-ci acceptaient sans rechigner leur condition le mettait profondément en colère. Ne pouvaient-ils protester vigoureusement contre leurs conditions ? Toussaint Louverture, les esclaves marrons, ainsi que d’autres chefs de file afro-américains, avaient-ils gagné la bataille de la liberté pour voir les descendants d’esclaves être détruits par la frustration et l’apathie ?

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Ce « Napoléon » d’un autre genre bouillonnait d’indignation. Il soutenait avec force que les Afro-Américains, bien que « libres », n’en demeuraient pas moins enchaînés sur le plan moral. Le complexe d’infériorité inhibiteur était, chez cette population, l’expression d’une absence de liberté de penser. Et l’on devait, d’une certaine façon, permettre à la lumière d’éclairer les confins de leur esprit, afin qu’ils se sentent réellement Hommes et libres, se maintenant avec assurance au milieu des personnes de races différentes. La logique et la simplicité des assertions de Garvey les rendaient claires et nettes.
 
C’était évident qu’il avait saisi le fond du mal qui frappait les hommes d’origine africaine. Il savait avec précision les causes et les conséquences de l’état d’esprit des gens de sa race, si brisés et désemparés, et voulait s’attacher à trouver le remède, radical et efficace, pour les guérir de ce mal chronique. Tous ceux qui avaient dressé des barrières sur le parcours des Noirs étaient fustigés. Il se demandait pour quelles raisons, humaines ou divines, les gens de sa race étaient freinés pour occuper la place qui était la leur dans les progrès de l’humanité. Il clamait haut et fort une destruction rapide des barrières injustement et artificiellement dressées sur le chemin de leur progrès. J’ai su à cet instant qu’une flamme intérieure brûlait en cet homme ; que son être profond contenait une puissance volcanique.

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